Lecture : 10 minutes

Quand on cherche à faire émerger une idée puissante, quelque chose de vivant qui peut prendre racine dans le monde et croître, on commence souvent par penser en termes d’organisation. On pense structure, rôles, procédures, gouvernance…

Mais il existe un autre niveau, plus fondamental : celui du champ créatif.

« “Sous tout ce que l’on appelle habituellement ‘l’organisation’, il y a une structure plus subtile, que l’on ressent souvent sans pouvoir la nommer. C’est ce que je nomme la hiérarchie créative. Elle est initiée et tenue par une personne : la Source.” — Tom Nixon

Tom Nixon est l’auteur de “Work with Source”, il transmet et incarne avec beaucoup de clarté les principes des personnes Sources, modélisés par Peter Koenig.

La Source, selon Peter Koenig, n’est pas un poste, ni une fonction, ni un statut. C’est un rôle invisible mais structurant, incarné par la personne qui, à l’origine, a pris l’initiative de faire exister un projet. Elle l’a imaginé, investi, nourri — au point de créer autour d’elle un champ d’attraction.

C’est la personne qui entretient un lien particulier avec le développement du projet. C’est souvent la personne qui entraînerait la mort du projet si elle partait. Ce lien se manifeste par une sensibilité unique à trois choses essentielles :

  • la vision du projet, son étoile polaire créative,
  • les prochaines étapes nécessaires à sa réalisation,
  • les limites de ce qui fait partie ou ne fait pas partie du projet.

Ce n’est pas forcément la personne qui agit le plus, ni celle qui “manage”. C’est celle qui sent ce qui est “dedans” ou “hors champ”. Celle qui, d’une certaine manière, tient la cohérence vivante du projet, même lorsque d’autres en portent des parties spécifiques, même si tout l’opérationnel est déployé par d’autres personnes.

Ce champ attire d’autres personnes, qui peuvent devenir à leur tour “sources spécifiques” de sous-projets ou d’initiatives plus ciblées. C’est ce tissage organique, vivant, que Tom appelle la hiérarchie créative : une architecture de cercles imbriqués, où chaque Source détient la responsabilité de son périmètre — tout en restant en lien avec le champ plus global.

Source ≠ Leader

Ce rôle de Source est souvent confondu avec celui de “leader” ou de “CEO”. Mais les deux ne sont pas équivalents.

Un leader peut très bien incarner une forte capacité à rassembler, inspirer, faire avancer l’équipe. Il ou elle peut être excellente pour guider au quotidien. Mais cela ne signifie pas nécessairement qu’elle soit la Source du projet.

Inversement, la personne qui porte le rôle de Source n’est pas toujours celle qui parle le plus fort, ni celle qui est la plus charismatique en apparence. Son rôle est plus subtil, mais tout aussi fondamental.
Elle tient le fil rouge du projet. Elle sent ce qui en fait partie — et ce qui n’en fait pas partie. Elle perçoit avec clarté la prochaine étape juste, même si elle ne sait pas encore comment s’y rendre.

Le rôle de Source est d’abord un rôle créatif. Il ne s’agit pas de diriger des gens. Il s’agit de prendre soin de l’élan vital d’un projet !

Partie 2 – Une hiérarchie vivante, ou comment garder la cohérence sans enfermer

Le mot “hiérarchie” évoque souvent quelque chose de rigide, autoritaire, vertical. On pense pyramide, pouvoir descendant, bureaucratie — bref, tout ce dont nombre d’organisations cherchent à s’émanciper.

Mais je vous invite à regarder la hiérarchie autrement. Pas comme une contrainte morte, mais comme une structure vivante, enracinée dans la dynamique créative d’un projet.

Regardons comment le vivant est une structure profondément hiérarchique et structurée, organisée par niveaux d’inclusion. Une cellule contient un noyau, qui contient de l’ADN, qui code pour des fonctions spécifiques. Une feuille appartient à une branche, elle-même partie d’un arbre, enraciné dans un écosystème. C’est un ordre vertical, mais pas autoritaire. Ce que nous enseigne la nature, c’est qu’il peut exister une hiérarchie et de l’autonomie pour chaque sous-système.

Dans cet ordre vivant, les éléments s’emboîtent, se soutiennent et se répondent. Il y a bien des rapports de niveaux — certains éléments en contiennent d’autres — mais cela n’empêche pas les dialogues, les feedbacks, les bifurcations. Le vivant conjugue donc hiérarchie et hétérarchie : des formes d’organisation verticales et des relations horizontales dynamiques et réciproques. C’est ce modèle organique que la notion de hiérarchie créative vient éclairer dans les organisations humaines.

“Ce qu’on appelle ‘hiérarchie créative’ n’est pas une hiérarchie de pouvoir. C’est une hiérarchie naturelle : l’expression d’un ordre dans le processus de création.” — Tom Nixon

Dans cette vision, ce n’est pas le pouvoir qui définit la place des personnes, mais leur lien avec la vision originelle et avec la partie du projet qu’elles incarnent. On pourrait presque parler de géographie intérieure du projet : qui tient quoi ? Quelle partie du vivant créatif chaque personne porte-t-elle ? Et à quelle “distance” du cœur de la vision ?

La hiérarchie créative en cercles imbriqués

Pour rendre cela visible, on peut cartographier les initiatives comme une série de cercles imbriqués :

  • Le cercle le plus large est tenu par la Source globale : celle qui détient la vision d’ensemble et sent la prochaine étape du projet dans sa totalité.
  • Des cercles plus petits, à l’intérieur, émergent à mesure que d’autres personnes prennent la responsabilité de sous-projets, d’initiatives, de domaines spécifiques. Ce sont les “sources spécifiques”.
  • Chaque cercle est autonome dans son champ — mais en lien avec le tout plus large. Et surtout, chaque cercle doit recevoir la reconnaissance de la Source globale pour réellement s’installer dans le projet.

Ce tissage donne à l’organisation sa forme la plus organique et cohérente. Ce n’est pas une pyramide figée, mais une écologie relationnelle, un peu comme des cellules dans un organisme vivant.

“La Source n’a pas de pouvoir direct à l’intérieur des champs des autres. Mais elle a un rôle clair : consentir ou non à l’émergence de nouveaux champs. C’est ce qui permet de garder la cohérence d’ensemble.” — Tom Nixon

Attention aux confusions

Là où ça se complique, c’est quand une personne se proclame Source… sans comprendre le rôle.
Cela peut basculer dans un usage autoritaire ou figé du pouvoir : “Je suis la source, donc je décide de tout.”

Mais ce n’est pas cela être Source, ce n’est pas imposer. C’est savoir discerner. Et surtout, c’est porter la responsabilité du champ entier, y compris lorsqu’il est traversé de tensions, de conflits ou de flous.

Et ce rôle-là est souvent mal compris et sous-estimé. Il demande de la présence, de l’écoute fine, de la disponibilité intérieure. Ce n’est pas tant un rôle de “faire”, qu’un rôle de “tenir l’espace”.

Partie 3 – La posture intérieure du porteur de la Source

Être Source d’un projet, ce n’est pas simplement avoir une vision ou initier un mouvement. C’est accepter d’habiter une posture intérieure bien particulière : celle de la personne qui, à chaque instant, reste en lien avec la direction créative du projet et avec ce que le vivant demande.

“Le rôle de Source est un rôle profondément créatif, pas un rôle de pouvoir. Et pourtant, il engage une pleine responsabilité. Il n’est pas toujours confortable à porter.” — Tom Nixon

Ce rôle demande avant tout de la clarté intérieure. La Source n’est pas censée tout savoir ni tout maîtriser — au contraire. La posture typique d’une Source est… le doute. Doute sur la prochaine étape. Doute sur ce qui est juste. Doute sur ce qui doit être accueilli dans le champ — ou laissé à l’extérieur.

Mais ce doute n’est pas paralysant. Il pousse à affiner l’écoute, à se retirer du bruit, à marcher en forêt, à se relier au sens. C’est une attitude de discernement, au service du projet.

L’ombre du rôle

Porter un rôle aussi central expose inévitablement à certaines projections — celles des autres, bien sûr, mais aussi les siennes. Beaucoup de Sources, ont du mal à assumer leur propre puissance. Elles rejettent l’image du “patron” ou du “leader autoritaire” et cherchent à se fondre dans une posture d’humilité extrême.

Mais le refus d’incarner cette puissance peut engendrer des troubles bien plus grands : perte de cohérence, dilution du projet, conflits entre sous-projets mal alignés… ou au contraire, explosion autoritaire quand les tensions deviennent insupportables.

“Si tu n’assumes pas consciemment ton rôle de Source, il s’exprimera malgré toi, de manière chaotique.” — Tom Nixon

L’enjeu est donc de faire un travail intérieur d’intégration. Revenir à soi. Reprendre les parts de soi qu’on a mises à distance : la clarté, la force, la capacité à dire non. Non pas pour imposer, mais pour tenir le cadre. Ce cadre vivant qui permet à l’initiative de se déployer sans se perdre.

Partie 4 – Source et autonomie : nourrir sans contrôler

Une des grandes forces du modèle de la Source est qu’il respecte profondément l’autonomie des personnes. Il ne s’agit pas d’un pouvoir qui décide pour les autres, mais d’un rôle qui garantit la cohérence du projet tout en laissant de l’espace pour l’initiative.

“Le rôle de Source n’est pas d’organiser tout le projet. C’est de tenir l’intention, et de laisser les autres apporter leur contribution à partir de cette clarté-là.”

Autrement dit : la Source trace le périmètre d’un champ, elle le rend lisible et vibrant. Et dans ce champ, d’autres peuvent entrer, créer, assumer des rôles, porter des projets. C’est ce que Tom appelle des sources spécifiques : des personnes qui prennent la responsabilité créative d’une partie du tout.

Ces personnes ne sont pas “mandatées”. Elles émergent, souvent naturellement, parce qu’une idée les appelle. Leur responsabilité ne leur est pas déléguée : elle est ressentie, assumée de l’intérieur.

Mais pour que cela fonctionne, une condition est nécessaire :
La Source globale doit reconnaître que cette initiative fait bien partie du champ qu’elle tient. Cela ne veut pas dire “autoriser” dans un sens hiérarchique. Cela veut dire sentir si la dynamique de cette initiative s’inscrit dans la vision — et si elle peut recevoir pleinement l’attention et la confiance du projet dans son ensemble.

Soutenir sans étouffer

C’est un équilibre subtil. Si la Source cherche à tout contrôler, elle tue l’élan. Si elle se retire trop, le projet se dilue. Entre les deux, il y a l’art de la présence juste : être là sans faire à la place, garder la vision vivante sans en faire une prison.

Cette posture demande souvent un vrai travail intérieur. Elle appelle une maturité qui ne s’improvise pas. Car il est tentant de vouloir tout valider, tout coordonner, ou au contraire de tout laisser faire sans discernement.

“Le rôle de Source, c’est de créer un champ suffisamment clair pour que les bonnes choses puissent émerger… et suffisamment structuré pour que rien ne se perde.” — Tom Nixon

Partie 5 – Argent, pouvoir et responsabilité de la Source

Derrière les grandes idées, il y a toujours une tension : celle entre la vision et sa concrétisation dans la matière. Et à un moment ou un autre, cette tension passe… par l’argent.

C’est là que beaucoup de projets se crispent, se figent, s’effondrent ou se trahissent. L’argent devient alors un révélateur brutal : des projections, des conflits de loyauté, des peurs de manquer, des rancunes anciennes, ou des postures de domination mal assumées.

Peter Koenig, qui a conceptualisé le modèle des Source a même commencé ses travaux par ce sujet là. 

Être Source, c’est aussi être responsable du flux qui fait vivre le projet. Même si ce n’est pas toi qui gères les finances au quotidien, c’est toi qui portes la cohérence du projet, donc aussi la façon dont les ressources circulent.

Ce rôle de Source implique donc une relation consciente à l’argent. Et cette relation, bien souvent, est le point critique qui différencie une Source saine et puissante d’une Source dysfonctionnelle :

  • Est-ce que j’ose être rémunéré à la hauteur de ce que je porte ?
  • Est-ce que je projette sur l’argent un pouvoir que je ne m’autorise pas à incarner autrement ?
  • Est-ce que je fuis la responsabilité des flux financiers sous couvert d’humilité ?
  • Est-ce que je m’interdis d’enrichir le projet (et moi-même) pour rester “pur” ?
  • Ou bien est-ce que je l’utilise pour garder la main, sans dire que je cherche à contrôler ?

Autant de questions qui touchent à la fois l’éthique, l’alignement personnel et la maturité structurelle.

Argent et juste place

Dans un champ de Source, l’argent ne devrait pas être un tabou. Il circule avec clarté, et conscience, en limitant les sentiments d’injustice. Non pas pour tout égaliser, mais pour reconnaître les rôles, les responsabilités, les engagements.

L’argent n’est pas un mal nécessaire. Il est un flux vivant, qui vient soutenir la vision… ou révéler ce qui n’est pas clair. Quand une Source assume sa place sans crainte — ni fuite, ni abus — elle peut alors faire de l’argent un allié. Pas un but. Pas une gêne. Un outil d’amplification. Un miroir aussi.

Mais cela demande du travail. Car notre rapport à l’argent est rarement neutre. Il est lié à l’histoire familiale, aux loyautés invisibles, aux blessures personnelles, aux constructions sociales. Et pour les porteurs de Source, il est souvent l’endroit où le chemin personnel et le projet collectif s’entrelacent avec le plus de charge.

Partie 6 – Marque, récit et responsabilité symbolique de la Source

À mesure qu’un projet se développe, il commence à être vu, reconnu, interprété de l’extérieur. Il produit des effets, des images, des récits. Et très vite, une marque se forme — au sens large : ce que les autres ressentent, perçoivent, racontent.

La Source est responsable de ce que le projet raconte au monde, même si elle ne maîtrise pas tout ce qui est dit. Pourquoi ? Parce que c’est elle qui tient le cœur du récit créatif, l’intention profonde qui donne sa cohérence à l’ensemble. On peut voir la Source comme l’auteur du récit qui se tisse dans le champ du projet. Même si d’autres contribuent, même si le récit évolue, il émane d’un centre, tout en se laissant inspirer par ce qui vient d’ailleurs, de l’extérieur, des clients, des usagers.

Ce récit n’est pas un storytelling stratégique ou une simple identité visuelle. Il est l’expression vivante du champ créatif. Et comme tout récit, il est traversé par des tensions :

  • entre vérité et image
  • entre intentions internes et perceptions externes
  • entre ouverture au monde et fidélité au centre

Et ici encore, c’est la qualité de présence de la Source qui fait toute la différence. Une Source confuse ou effacée produira un projet à la marque floue, aux messages incohérents. Une Source autoritaire pourra figer une vision, rendre le projet dogmatique. Mais une Source alignée, habitée, incarnée… fera émerger une marque authentique, cohérente, magnétique.

Cohérence et résonance

Une des grandes forces de cette approche, c’est qu’elle permet d’assumer que toute initiative porte une empreinte. Elle émet quelque chose dans le monde. Et que cette émission est liée — inévitablement — à la personne ou au groupe qui en tient la Source.

Certaines marques portent cette résonance très clairement : Patagonia et Yvon Chouinard, Tesla et Elon Musk, Ben & Jerry’s, Zappos… Qu’on les aime ou pas, on ressent la cohérence entre le projet, la vision, la voix qui l’habite. Et ça change tout.

Cela pose une question simple mais puissante :

Est-ce que le monde perçoit ce que j’ai réellement envie d’exprimer ?

Et toi, es-tu en lien avec ta Source ?

Tu peux avoir une vision lumineuse, une équipe engagée, un modèle solide… mais si tu n’es pas en lien avec ta Source, tout peut se diluer, se fragmenter, se perdre.

Assumer la Source, ce n’est pas dominer ni tout contrôler. C’est habiter pleinement la responsabilité créative, de dire oui ou non. Celle de sentir et de trancher parfois, de tenir l’alignement dans la tempête.

Et si cette posture te parle — ou t’inquiète — c’est sans doute qu’elle est déjà en jeu dans ta vie.

C’est pour accompagner cette exploration que j’anime régulièrement des retraites dédiées aux porteurs de Source. Une retraite pour te reconnecter à l’élan qui t’habite, clarifier ce qui t’appartient, et assumer ta juste place.

Découvrir la retraite Source

Tu ne trouveras pas là des recettes toutes faites. Mais un espace pour écouter ce qui veut naître — et te donner les moyens de l’honorer.

Si tu veux m’entendre sur la source écoutes ce podcast !

Aliocha Iordanoff

Découvrir d’autres articles de l’auteur !

À lire aussi .