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Les processus de réunion en Holacratie, un cadre pour mieux s’écouter

On dit souvent que les réunions en Holacratie sont rigides. Les tours, les étapes, les consignes sans discussion… À première vue, tout cela peut sembler mécanique. En réalité, cette structure n’est pas là pour enfermer. Elle sert à créer un espace d’écoute et d’expression équilibré. Un espace où chacun peut dire ce qu’il a à dire, au moment juste, sans se faire couper, sans devoir lutter pour exister, sans avoir à gagner le débat.

C’est même la raison pour laquelle on ne parle pas quand on veut. Non pour empêcher la spontanéité, mais pour protéger la qualité d’attention du groupe. Écouter demande une disponibilité et une intention claire : être là, ne pas être absorbé ailleurs, mettre en suspens, quelques minutes, son propre besoin pour accueillir celui de l’autre. Écouter, c’est un acte conscient et volontaire. Ce n’est pas si automatique ou inné qu’on ne le pense.

Et c’est précisément ce que les processus holacratiques rendent possible.

La réunion tactique, un soutien actif à l’expression de chacun

La tactique est pensée pour fluidifier l’opérationnel. Mais derrière les apparences, elle incarne un véritable processus d’écoute active. Dès le tour d’inclusion, chacun pose un mot pour se rendre disponible. Pas de discussion. Juste une parole déposée, reçue.

Ensuite, toutes les étapes de synchronisation reposent sur un principe simple : clarifier sans débattre. Que ce soit dans la revue des indicateurs, des checklist ou des projets personne n’est là pour convaincre ou se justifier. Autant de réflexes qui, dans une réunion classique, alourdissent les échanges.

Dans la phase de triage, l’un des gestes les plus puissants est cette question, posée au porteur du point : « Quelle est ta demande ? A qui tu t’adresses ? » Une question qui recentre. Qui évite la digression. Qui empêche la prise de pouvoir subtile. Qui protège aussi celui ou celle qui parle ou qui est encore en train de clarifier ses propres besoins.

À chaque point, le facilitateur porte le processus. Le groupe contribue, mais uniquement au service du porteur du point. C’est un cadre qui soutient la personne autant que le collectif. Un cadre qui aide à dépasser les obstacles classiques de l’écoute, comme le besoin de conseiller trop vite, de convaincre, de rassurer, ou de proposer une solution avant même de comprendre ce dont l’autre a besoin.

Et à la fin, le tour de clôture réouvre l’espace de parole individuelle. Un tour d’expression personnelle, sans débat. Chacun partage comment il a vécu la réunion.

La gouvernance, un processus qui protège la qualité d’expression et évite les jeux de pouvoir

La gouvernance est souvent perçue comme encore plus rigide que la tactique. Pourtant, c’est l’un des processus les plus protecteurs pour la parole individuelle. Tout commence par un tour d’inclusion, puis la constitution d’un ordre du jour simple, clair, ouvert. Chacun peut poser un point pour modifier la structure de gouvernance.

Quand vient l’étape de la proposition, le proposeur est soutenu par le cadre. Le facilitateur ne cherche pas à influencer. Les autres ne cherchent pas à convaincre ou à améliorer la proposition avant l’heure. 

Puis dans l’étape 2, ils posent uniquement des questions pour mieux comprendre, sans réactions, sans conseils, sans débat : des clarifications, pas des jugements, pas d’influence.

Le tour de réaction, lui permet une expression individuelle libre, chacun peut critiquer, donner son avis et bien sûr suggérer une amélioration. Cela garantit que chacun peut réagir, sans être interrompu. Il est cependant cadré car il n’autorise qu’une prise de parole par personne, aucune discussion. La réaction doit concerner la proposition et non des sujets connexes. La réaction n’est pas non plus une réaction à ce que les autres ont dit avant. Cela évite les rebonds, les longs argumentaires qui impressionnent plus qu’ils n’éclairent. 

Au tour d’amendement, le proposeur est libre de choisir ce qu’il va faire de sa proposition. Il peut la laisser en l’état, l’amender ou apporter des précisions pour la clarifier. Le facilitateur empêche toute tentative d’influence et soutient le proposeur dans sa proposition, même si elle n’est pas parfaite. C’est une étape où le proposeur est seul. Ce n’est pas évident. Ici on cherche à garantir que le proposeur traite bien sa tension et pas celles des autres, entendues au tour précédent.

Le tour d’objection, lui aussi, repose sur des critères précis. Une objection n’est ni un désaccord, ni un inconfort. C’est un tort potentiel, concret, lié à une redevabilité ou à la capacité du cercle à exprimer sa raison d’être. Le test d’objection oblige à quitter les impressions vagues pour revenir à des faits, à des exemples, à une réalité observable, exactement comme dans la reformulation émotionnelle : reconnaître ce qui compte, sans projeter.

Puis en cas de réelle objection vient le l’espace d’intégration. Un temps de discussion cadré entre le proposeur et l’objecteur, avec l’aide du groupe si nécessaire. On ajuste, on modifie, on cherche une solution viable. Pas la meilleure. Pas un consensus. Juste une proposition qui supprime le tort et répond à la tension initiale.

Ce que ces processus changent profondément

Ces deux formats de réunion ne sont pas des machines froides. Ce sont des structures qui soutiennent l’expression et l’écoute, protègent les individus et protègent le collectif. Ils offrent plusieurs garanties essentielles.

  • Le temps d’expression individuel. Les tours d’inclusion, de réaction, de clôture, l’absence de discussion, tout cela évite les interruptions, les dominations, les prises de pouvoir implicites.
  • La clarté de l’intention. La question « Quelle est ta demande ? » ou « Quelle est ta proposition ? »recentre sur ce qui compte vraiment, un des gestes clés pour dépasser les obstacles à l’écoute.
  • La protection du collectif. Les tests d’objection empêchent les décisions prises à partir de peurs vagues ou de traditions implicites. Ils obligent à nommer précisément ce qui fait tort, à s’appuyer sur des faits.
  • L’autorité distribuée. Dans la tactique comme dans la gouvernance, personne n’a à convaincre ou à obtenir un consensus pour agir dans son rôle. Chaque personne peut avancer, tant que cela ne viole pas une règle explicite. Cela réduit fortement les jeux d’influence.

Au fond, Holacratie propose une autre façon de se parler. Plus consciente, plus assertive, plus précise. Une manière de contrer les anciennes habitudes, de laisser tomber les réflexes qui empêchent d’écouter, pour faire émerger ce que chacun a réellement besoin d’exprimer.

Quand la structure soutient l’écoute, le collectif devient plus solide. Et les individus peuvent enfin se déployer sans se suradapter aux habitudes, aux personnalités fortes ou aux normes implicites. C’est là que ces processus prennent tout leur sens.

Jeann de Kerdrel

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