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Interview de Fabio Monte, leader de QoQa

QoQa est l’un des plus gros acteurs du marché suisse de l’e-commerce. L’idée de cette plateforme est lancée en 2005 par Pascal Meyer, son fondateur. Le concept est simple : Des produits triés sur le volet disponibles durant seulement 24 heures à prix cassé et avec un stock limité. Aujourd’hui ce sont plus de 900 000 suisses qui achètent de façon régulière sur la plateforme communautaire de vente en ligne. En 15 ans, QoQa a grandi et accueille aujourd’hui 180 salariés. Rencontre avec l’un de ces leaders !

Comment avez-vous pris la décision d’embarquer en Holacracy ?

Ça a été un mix de 2 choses, on l’a découvert au contact de notre agence Liip qui était passionnée d’Holacracy et par l’impulsion de personnes internes comme Joann (leader du cercle chargé du développement web). On était intrigués, et nous avons donc commencé à nous renseigner. Mais ce qui nous a motivé à passer le cap, c’est qu’on n’avait pas véritablement de gouvernance et l’équipe venait de passer le cap des 100 personnes. Il y avait par conséquent en interne des problématiques pour identifier les rôles et missions de tout le monde. On voulait également rester agile avec la méthode scrum, rester dans cette mouvance… Ce qui nous semblait possible avec l’Holacracy.

Quelles ont été les bonnes surprises dans votre adoption d’Holacracy ?

La bonne surprise, c’est définitivement la rapidité d’intégration de la méthode par les 180 collaborateurs (oui, on a grandi très vite entretemps!). Pour moi, le choix était évident après plus de 2 ans de recherche et de formation. Mais tout le monde n’avait pas eu la chance de passer autant d’heures sur ce sujet. J’ai trouvé donc assez agréable de voir la rapidité avec laquelle les gens ont dit “ok, on suit”, sans connaître forcément les conséquences et la suite. Dans notre entourage, nous avons aussi eu des remarques un peu perplexes, les gens peuvent avoir des réserves sur le fait de tout mettre à plat, avec beaucoup de transparence. Et il ne faut pas oublier les craintes de certains “leaders” qui pourraient craindre la perte du pouvoir. Mais je pense aujourd’hui que les gens ont saisi le plus important : le pouvoir ne disparaît pas, il est simplement plus global, et à la portée de tout le monde.

Qu’avez-vous mis en place en interne pour garantir le succès de cette transformation ?

Évidemment, le Covid n’a pas aidé : on est tous à distance depuis tellement longtemps… Il y a beaucoup de personnes déjà formées, et cela continue actuellement. C’est un investissement important. Plus il y a de personnes qui comprennent les subtilités d’Holacracy, plus ce sont des gens qui vont porter et ne pas lâcher face aux premières difficultés. La supervision des séances par les coachs d’Ivolve et Semawe nous permet aussi d’avoir une vue d’ensemble et de mettre l’accent là où les cercles coincent. Avoir ce regard extérieur et pouvoir faire des time out permet de répondre à des questions et surtout des questions individuelles. Il s’agit de trouver comment l’outil peut nous aider à résoudre nos problèmes. La théorie paraît facile, mais c’est toujours autre chose d’être confronté à un bloquant dans la pratique.

Vous avez créé un cercle dédié à la montée en compétence en Holacracy. Peux-tu nous en dire plus sur ce cercle ?

On a créé le cercle QoQa Academy d’abord pour identifier le porteur de la transformation. Il est leadé par Christos, qui a coordonné depuis le début ce projet que ce soit dans la recherche du partenaire ou la mise en place des formations de l’équipe. L’avantage c’est que tout le monde chez QoQa saura que lorsqu’il y a un besoin de coaching ou de supervision car il y a un sujet chaud, il sera possible de se référer à ce cercle pour avoir des réponses. C’est aussi ce cercle qui fait le lien avec les coachs externes d’Ivolve et Semawe. Cela crée un filtre et évite que tout le monde contact nos coachs externes. Les coachs internes peuvent aussi voir s’il est nécessaire d’impliquer un coach externe ou pas.

Quelles sont les particularités identitaires de QoQa qui vous rendent compatibles avec Holacracy ?

J’ai écrit un jour dans une de nos présentations “Chacun fait ce en quoi il est bon”. Nous avons longtemps eu une culture qui consistait à laisser les gens s’annoncer spontanément pour faire autre chose que leur compétence première. Pour Holacracy, Christos s’est par exemple proposé et à la base il est développeur. Le fait que les gens osent proposer et travailler sur des choses sur lesquelles ils sont bons et sortent de leur périmètre initial nous rend particulièrement compatible. Chez QoQa les gens s’expriment librement. Dans l’ensemble les gens sont bienveillants, s’expriment et proposent des choses. Avec Holacracy aujourd’hui ils peuvent aller plus loin que la critique et proposer.

Quel est le prochain challenge dans votre pratique d’Holacracy ?

Il y a beaucoup de travail, j’ai peur que l’organisation comme on la dessine ne se mette pas à jour aussi vite que le reste, qu’on oublie Holacracy et retombe dans notre tendance à revenir comme avant où on bossait avec le fameux “bon sens”. Je le vois à des réflexes comme “On le mettra après dans notre gouvernance” ou dans le fait qu’on utilise pas toujours les formats proposés par Holacracy de réunion tactique ou de gouvernance.

Tout le monde peut remettre en question la gouvernance mais certains pensent encore qu’ils n’ont pas la possibilité de changer, de prendre le lead pour proposer un changement. On a vu 2 ou 3 fois des frustrations de certains qui disent “Mais je ne peux pas faire de changement”, qui ont des besoins de revoir une organisation par exemple. J’ai vu quelquefois, des personnes qui n’étaient pas claires sur un rôle et n’ont pas osé le dire. Elles attendent encore que les leaders qui étaient anciennement responsables de tout, le fassent pour elles. Il y a un besoin d’apprivoiser mieux la gouvernance pour tous les rôles du cercle et que chacun se dise : “J’ai une problématique, j’essaye de la poser en gouvernance, peut-être que ça donnera rien mais au moins le sujet est posé”.

Observes-tu des changements dans ton équipe ?

Pour moi, il y a eu un grand changement quand je suis devenu leader du cercle QoQa. Pascal, le fondateur et “loutre in chief” historique est toujours évidemment très présent. Ça a permis de clarifier et mieux définir nos périmètres respectifs. Cela met plus de clarté pour le reste de l’équipe aussi. Ça améliore le fonctionnement car il garde le projet sur l’ADN de QoQa. Il a aussi le rôle d’agitateur, qui s’occupe de secouer le bananier. L’avantage c’est que quand il y a besoin de disrupter je discute beaucoup avec Pascal et quand il faut mettre en place les choses avec l’équipe, c’est moi qui prend le lead.

Concernant le reste de l’équipe, toutes les personnes qui ont des responsabilités ont été officialisées avec le rôle de leader de leur cercle. Ça leur permet de pouvoir assumer et de prendre leur responsabilité. Avant on disait qu’ils étaient responsables de pôle mais on ne savait pas trop ce que cela voulait dire. J’ai vu un changement de posture de beaucoup de gens. C’est clair que ça met en danger parfois, et en même temps pour ceux qui le prennent et qui avancent c’est une opportunité pour qu’ils puissent s’exprimer et revendiquer un peu leur légitimité :

“Je suis responsable de ce rôle, si vous prenez cette décision, cela doit m’appartenir, car je suis responsable de cette partie du projet”

Y a-t-il des choses que tu trouves plus sensibles dans l’adoption ?

La partie RH est plus délicate, même si Holacracy définit des rôles, il y a toujours un lien crucial avec les ressources humaines. Des questions réflexes émergent comme “C’est quoi mon titre officiel ?”, “Qu’est-ce que je mets sur linkedin ? “, “Est-ce que je mets tous mes rôles ?”. Je pense qu’il faut apprendre à jongler avec les deux mondes. Il y a aussi la suite avec notre review annuelle, sans oublier les réalités économiques avec la question des salaires, une réalité en termes d’identité vers l’extérieur. L’autre élément délicat, c’est notre travail actuel sur la vision. Même si tout peut être remodelé, revu, challengé avec Holacracy, comme toute organisation, on a besoin de définir une vision. On a cet enjeu de pousser tout le monde à travailler là-dessus et de s’engager à «Où je veux arriver”. C’est vrai qu’il y a chez QoQa beaucoup de leaders qui le sont aujourd’hui car ils le méritent mais qui n’ont pas l’habitude d’être leader et de déterminer une vision, une ambition. Ce travail de coaching plus classique dans l’entreprise est à hybrider avec notre système de gouvernance en Holacracy.

Une chose à ajouter ?

J’ai envie de partager quelques secrets pour les personnes ou entreprises qui veulent se lancer dans Holacracy : je pense qu’il faut une communication interne rapide, intégrer tout le monde dans la réflexion dès le début et donner rapidement un avant-goût avec des exemples concrets pour qu’ils comprennent la démarche. Chez QoQa, on a ainsi mis en place des ateliers en amont de la décision pour que les gens comprennent le potentiel du virage. Et – évidemment – le choix du partenaire est très important. Un coach ne doit pas seulement outiller en donnant les clés d’Holacracy, il doit aussi voir les particularités de l’organisation. Holacracy ne fait pas seulement travailler sur la gouvernance mais sur la manière avec laquelle tu travailles individuellement, et avec les autres. C’est un voyage dont l’on ressort grandi, quelle qu’en soit l’issue!

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