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Jeanne De Kerdrel

Pourquoi Jeanne de Sémawé, coach en Holacracy, vous conseille de lire cet article

Dans cet article, Tom Nixon retrace les grandes lignes de l’histoire des organisations et de leur modèle managérial. C’est fondamental car il explique comment a émergé chaque modèle et les limites rencontrées. Pour les modèles les plus récents qui reposent sur l’auto-gouvernance et un aplatissement de la hiérarchie, la principale limite est que les individus ont peur de l’autorité et ont peur de leur propre affirmation. Le risque est que plus personne n’ose poser de vision et que le groupe forme un “nous” informe.

En tant que coach, ce qui me passionne dans l’Holacracy c’est la capacité d’un modèle à combiner du vertical et de l’horizontal, du collectif et de l’individuel. C’est un système qui reconnaît l’affirmation et l’autorité dans sa forme fonctionnelle : celle de la créativité et de la capacité à porter une vision.

Pour passer des hiérarchies de pouvoir à l’autogestion, il est essentiel d’apprendre à aimer l’autorité créative.

Article original de Tom Nixon disponible ici.

Hiérarchies industrielles

Les entreprises de l’ère industrielle sont devenues de grandes institutions hiérarchiques. Elles étaient stables et duraient des décennies, voire des siècles. Elles employaient les masses et nous fournissaient les produits que nous voulions, et bien d’autres dont nous n’avions aucune idée que nous voulions.

Le système hiérarchique fait incroyablement bien fonctionner l’autorité. Tout le monde sait qui détient l’autorité – il suffit de regarder vers le haut de l’organigramme. Les fondateurs de méga-entreprises peuvent voir leurs visions se concrétiser grâce au commandement et au contrôle de l’énorme machine qu’ils ont construite sous leurs ordres. Ils élaborent la stratégie et la transmettent pour exécution, comme un général commandant une bataille.

    Des problèmes de croissance

    Nous avons appris depuis que ces hiérarchies formelles présentent de gros défauts. Elles deviennent lentes, les décisions mettant une éternité à passer d’un échelon à l’autre. L’innovation à la périphérie est étouffée par le contrôle descendant et la bureaucratie. Le contrôle et les systèmes de validation sont omniprésents.

    Les hiérarchies deviennent déshumanisantes, car les structures d’autorité représentent un pouvoir sur les personnes, et pas exclusivement un pouvoir de faire. La personne « au-dessus » de vous contrôle vos performances et approuve votre fiche de poste. Les êtres humains, avec tous leurs dons uniques et leurs bizarreries, sont enfermés dans une identité fixe au travail.

    La compétitivité est intégrée dans le système d’exploitation. Il faut rivaliser avec les autres pour monter dans la hiérarchie. La collaboration et la compassion sont beaucoup moins récompensées. Non pas que la compétitivité soit mauvaise en soi, mais elle est nécessaire dans un juste équilibre avec la collaboration, et une structure hiérarchique nuit à cet équilibre.

    Hiérarchies post-industrielles

    Dans le monde post-industriel, nous avons donc commencé à modifier le modèle hiérarchique. Nous avons créé des organisations matricielles afin que l’information et le contrôle puissent circuler à travers l’organisation ainsi que de haut en bas. La ligne pointillée sur l’organigramme était née. Nous avons aplati les hiérarchies pour réduire le nombre d’étapes dans le processus de prise de décision et de communication. Les managers se sont formés à adopter un style de coachant et responsabilisant. Ils écoutent autant qu’ils donnent des instructions. La voix de chacun est entendue et tout le monde doit innover. L’entreprise ressemble davantage à une communauté, dirigée par un leader compatissant, et moins à une machine dont les leviers sont actionnés par un leader-opérateur.

    Mais il ne s’agit là que d’ajustements. En aplatissant la hiérarchie, nous remplaçons les longues et lentes chaînes de commandement par des goulets d’étranglement en matière de gestion, car un plus grand nombre de personnes dépendent d’une seule et même personne. Un manager passe le plus clair de son temps à gérer les personnes et non à se concentrer sur son propre travail. L’autonomisation et la responsabilisation sont des compromis délicats, car la personne au-dessus de vous détient toujours le pouvoir sur vous. Vous pouvez seulement donner du pouvoir à quelqu’un qui n’en n’avait pas par défaut. Un style de management par le coaching adoucit les angles, mais l’autorité est toujours clairement distribuée en cascade du haut vers le bas.

    La concurrence reste également vive. Aujourd’hui, il y a moins de postes de direction à pourvoir. Les évaluations à 360 degrés donnent une illusion d’égalité, mais il est clair que seuls quelques-uns peuvent « monter en grade ».

    L’autogestion fait son apparition

    Les limites du système hiérarchique ont poussé à l’apparition d’organisations plus adaptatives et qui fonctionnent en réseau. La sociocratie, qui existe depuis les années 1970, connaît enfin son heure de gloire, et son cousin Holacracy fait également beaucoup parler de lui. Ces nouveaux modèles sont bien plus qu’une simple adaptation des anciens systèmes. Ils représentent un nouveau paradigme dans la manière dont nous structurons nos organisations.

    Le pouvoir hiérarchique voulant contrôler les personnes a enfin disparu, remplacé par des cercles inter-dépendants. Nous pouvons encore diviser le travail en hiérarchies, mais les gens assument une multitude de rôles dans l’entreprise, sans fiche de poste ni titre de poste fixes. Les gens apparaissent à différents endroits de l’organigramme en fonction du travail qu’ils trouvent utile et gratifiant. Il n’y a pas de patron à qui rendre des comptes. L’organisation est dynamique et évolue au fil du temps. La collaboration l’emporte sur la concurrence dans ces structures, ce qui encourage l’innovation et de véritables relations de pair à pair.

    Mais ces nouveaux modèles présentent un défaut bien handicapant.

    L’autorité est devenue un tabou

    Les fondateurs de nombreuses entreprises post-industrielles ont peur de l’autorité. Ils ne veulent pas, à juste titre, devenir les dictateurs du passé. Ils renoncent donc à leur autorité et la transmettent à des groupes. Parler de « je » ou de « moi » est devenu un crime. Tout doit être « nous » et « on ». Une noble intention aux conséquences désastreuses.

    En plus de supprimer le pouvoir et l’autorité formels d’un être humain sur un autre, ces nouveaux modèles organisationnels ont perdu leur lien avec l’autorité créative. C’est-à-dire le pouvoir de donner vie à la vision créative d’un individu. Les gens renoncent à leur droit de s’exprimer pleinement et de vivre leur vocation personnelle. Au lieu de cela, ils se soumettent au groupe.

    Ce qui se passe ici, c’est l’amalgame entre l’autorité formelle et l’autorité créative. L’autorité formelle peut être étouffante, mais l’autorité créative est la source de la passion dans une organisation. Il n’y a rien de plus vital qu’une personne qui poursuit sa vision – il suffit d’observer le fondateur d’une start-up en pleine action. Retirez-lui cela et vous verrez son énergie se vider.

    Le mythe de l’âme organisationnelle

    Pour combler le vide laissé par l’absence d’autorité créatrice individuelle, un mythe est apparu selon lequel l’organisation elle-même a un but, comme une âme propre. Selon ce mythe, la raison d’être de l’organisation est indépendante de la vision individuelle qui l’a créée et est en fait guidée par une “vision commune” du groupe.

    Je ne crois pas qu’il soit utile de considérer qu’une organisation a une âme. Il n’est pas utile de la traiter comme une entité vivante. Il est bien plus utile de considérer les organisations comme des histoires créées par des êtres humains. L’histoire commence lorsqu’une personne fait le premier pas pour réaliser une vision – un acte créatif. Toutes les organisations partent d’une seule graine et se développent à partir de là. La vision du fondateur est toujours présente, qu’elle soit reconnue ou non. Croire que l’organisation s’est détachée de l’homme et a pris une vie propre est une superstition.

     

    L’organisation véritablement réactive et créative

    Bien que les modèles sociocratiques/holacratiques présentent un défaut majeur, il existe une solution simple mais efficace.

    Il s’agit de surmonter le tabou de l’autorité en séparant l’autorité formelle de l’autorité créative. Nous n’avons pas besoin d’avoir un pouvoir formel sur les gens. Lorsqu’il s’agit d’une structure formelle, il peut s’agir d’un « nous ». Nous pouvons construire des organisations avec des accords volontaires conclus par des pairs, et non des ordres venant d’en haut. Cependant, lorsqu’il s’agit d’autorité créative, nous sommes d’abord des individus. Nous devons être intransigeants dans notre quête de notre vision personnelle et dans notre travail en ce sens. Cela ne doit pas compromettre la possibilité pour les autres de faire de même. Nous pouvons travailler ensemble dans un réseau de relations de collaboration et de soutien si nous cherchons à comprendre la vision que les autres essaient de réaliser et si nous les aidons du mieux que nous pouvons, tout en recherchant l’aide des autres.

    Cette approche commence dès la naissance d’une organisation, en identifiant qui a exercé son autorité créatrice en faisant le premier pas, peut-être en demandant de l’aide à quelqu’un d’autre. Bien qu’il puisse sembler que deux ou plusieurs personnes aient commencé ensemble, un examen plus approfondi permet toujours de remonter à une seule personne – la source. Reconnaître la source, comprendre sa vision et travailler consciemment avec elle est la clé pour fonder les organisations du futur.

    En adoptant pleinement l’autorité créative, nous pouvons construire des organisations réactives, collaboratives et créatives avec le meilleur des deux mondes : aucun pouvoir sur les personnes et le plein potentiel de chacun pour réaliser sa vision. 

     

    Crédits
    Cet article est inspiré de conversations et d’échanges de mails avec Charles Davies, pionnier de l’utilisation de l’autorité créative dans les organisations. Charles s’appuie sur les travaux de Peter Koenig, qui mène des recherches sur le sujet depuis de nombreuses années.

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