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Nous sommes une Scop qui fonctionne depuis plusieurs années en Holacracy et travaillons depuis six mois à l’obtention de la certification ISO 9001. Nous voulons prouver qu’il est possible pour une organisation en Holacracy de créer des interfaces avec d’autres organisations dont le fonctionnement, en l’occurrence de type normatif, est essentiellement différent.

Obtenir la certification ISO 9001 est un enjeu de taille pour nous. L’accompagnement en Holacracy d’autres organisations est encore confidentiel en France et il est nécessaire de déconstruire les idées reçues sur la méthode. Une certification ISO valorise notre approche et contribue au renforcement de notre crédibilité.

L’amélioration continue et le système management de la qualité sont en essence déjà profondément présents dans notre philosophie Agile et dans notre gouvernance en Holacracy. En effet, la plasticité et l’adaptabilité que nous permet Holacracy visent avant tout à adapter notre entreprise à un écosystème en constante évolution. Les processus Agiles quant à eux, exploitent le changement qui est considéré comme une opportunité et non comme une menace.

La norme ISO 9001 version 2015 s’intéresse au système de management de la qualité de l’organisation et à son aptitude à fournir des produits ou services conformes aux exigences des clients. Elle est basée sur trois concepts fondamentaux que sont l’approche processus, l’amélioration continue et les risques. La spécificité de la version 2015 est qu’elle est davantage orientée « résultats » que « moyens » et laisse ainsi à l’organisation une grande marge de manœuvre quant à ses moyens et outils de fonctionnement. Compte-tenu de notre gouvernance en Holacracy et des modes d’organisation qu’elle implique, cela représentait pour nous une véritable opportunité.
En Août 2020, Semawe avait déjà obtenu la certification Qualiopi, une norme axée sur la professionnalisation des formations. Cette première expérience nous a prouvé qu’une démarche qualité pouvait ne pas être lourde, ni contraignante, ni difficile à mettre en place mais au contraire était une occasion pour apprendre et améliorer nos pratiques. La norme ISO 9001 constitue un défi de taille parce qu’elle concerne l’ensemble des activités créatrices de valeur et des activités supports de notre organisation. Dans cet article je vous partage la modélisation de notre démarche en 3 points.

S’approprier la norme

L’interprétation de la norme est importante car à bien y regarder on se rend compte que les outils que nous utilisons dans notre fonctionnement en Holacracy répondent déjà à une grande partie des exigences de la norme. Il est important de ne pas multiplier les approches formalistes inutiles (documentation à outrance, faire des processus pour faire des processus etc…). Ma préconisation est, dans un premier temps, de se pencher sur la norme en l’interprétant pour tenter de voir qu’est-ce qui dans votre fonctionnement y répond. L’important est de pouvoir justifier l’utilisation de tel outil pour répondre à la norme plutôt qu’un autre. C’était en tout cas la philosophie avec laquelle nous nous sommes engagés dans la démarche de certification et la condition pour la mener jusqu’au bout : on ne crée pas de processus juste pour se conformer à la norme, on traduit ce que nous faisions déjà et on intègre ce qui reste à modifier de la manière la moins coûteuse possible.

La cartographie des processus

Un requis de la norme auquel il est difficile d’échapper est la cartographie des principaux processus qui structurent l’activité de l’organisation. Il y a les processus créateurs de valeur : production de bien ou de service, vente etc… et les processus supports : pilotage, ressources, administration, amélioration continue etc… Si votre gouvernance est structurée par activité et non par projet, les cercles et leurs rôles vont vous aider à cartographier vos processus. Dans notre organisation, c’est par exemple la Lead du cercle accompagnement qui logiquement est pilote du processus “coaching collectif”, puisqu’il s’agit d’une de nos formes d’accompagnement. De la même manière, lorsqu’on détaille les activités nécessaires à un processus, on s’aide des rôles du cercle concerné qui ont bien souvent dans leurs redevabilités des actions nécessaires au processus.

Ici la cartographie d’une de nos activités majeures : le coaching collectif

Les indicateurs de pilotage

La norme exige l’utilisation d’indicateurs visant à mesurer la conformité et l’efficacité des processus et à repérer les non conformités : les indicateurs de pilotage. Or, Holacracy prévoit des espaces comme les réunions de triage et gouvernance qui répondent parfaitement à la norme car elles intègrent déjà des process qui incluent le traitement des tensions, la synchronisation sur les projets etc…

C’est ici que les organisations en Holacracy peuvent véritablement faire la différence par rapport à des organisations au management plus traditionnel.

Des espaces proposés par la méthode Agile peuvent aussi être des indicateurs de pilotage. Ils peuvent servir à analyser et évaluer les processus : le Forum Ouvert, la rétrospective, les projets encodés dans Asana ou Teams etc, les informations passées sur des logiciels comme Slack et à travers des Stand Up Meetings. Ces espaces dédiés au partage d’information, à la synchronisation ou encore aux retours sur la pratique permettent de fluidifier le travail entre personnes et activités et de limiter les erreurs, blocages et pertes d’information.

Les indicateurs de résultat

Les indicateurs de résultats servent à faire le suivi et mesurer notre évolution notamment pour anticiper les éventuelles non conformités ou vérifier qu’on s’améliore en cas de non conformité avérée. Cette approche nous pousse à nous améliorer dans le suivi de ces axes d’amélioration en allant regarder des éléments concrets. Nous utilisons en complément quelques indicateurs au sens Holacratique du terme comme : le volume de facture par mois, le nombre d’abonnés sur notre newsletter, le chiffre d’affaires trimestriel… L’idée est de mettre en avant ceux qui existent et d’en expliciter quelques-uns en veillant à ne pas créer des indicateurs inutiles.

L’approche par les risques

On peut résumer l’approche par les risques comme un ensemble d’actions préventives face aux risques et opportunités. L’approche par les risques est culturellement assez éloignée du fonctionnement en Holacracy car elle privilégie la planification et le contrôle plus que le ressenti et l’ajustement, mais la constitution d’Holacracy intègre des éléments qui répondent à la norme :

  • Les indicateurs : en Holacracy, les indicateurs sont des données chiffrées qui servent aux membres du cercle à piloter leur activité dans le cercle.
  • La phase de synchronisation sur les projets (et plus largement la réunion tactique) qui limite les risques de blocage, de non passage d’informations et donc d’inefficacité.
  • La réunion de gouvernance qui assure une plasticité et une amélioration en continue de la structure de l’organisation.

L’approche par les risques concerne aussi le traitement des non conformités.

Les non conformités

Notre définition : une non conformité s’apparente à une tension en Holacracy, c’est un écart partiel ou entier à une exigence. Il y a 4 sources d’exigence :

  • les normes et référentiels que l’entreprise s’est engagée à appliquer
  • la volonté des rôles qui ont autorité
  • les exigences formelles des clients (et de l’ensemble des parties prenantes)
    les lois et règlements

Tous les leaders de rôle sont chargés de processer les non conformités comme des tensions.
Selon la norme, une non conformité doit être intégrée au processus de la démarche qualité en 4 étapes :

  • la détecter
  • communiquer dessus
  • prendre des actions correctives
  • vérifier l’efficacité des actions prises

Tout cela est en grande partie déjà présent dans la constitution : les rôles doivent détecter et processer toute tension qui se présente à eux. Le seul point qui n’est pas formalisé par la constitution d’Holacracy est la vérification de l’efficacité des actions prises (d’où l’utilité des rétrospectives). Le besoin de vérification dépend surtout de la gravité de la non conformité.

Accompagner le changement

Accompagner le changement auprès des personnes membres de l’organisation est l’étape la plus sensible et qui nécessite beaucoup de finesse pour que le changement ne soit pas subi mais accueilli et embrassé. Notre fonctionnement en Holacracy ainsi que notre approche agile nous ont beaucoup aidé dans ce sens là. De plus, la transparence, la pédagogie et l’intégration des équipes dans le processus sont évidemment nécessaires pour assurer une bonne transition.

Pour que l’organisation dans sa globalité puisse s’approprier la norme ISO 9001, il convient de réaliser un travail de communication en interne sur l’intérêt des changements, les restructurations en cours etc.. . Il peut aussi être intéressant en amont du projet de discuter avec l’ensemble des équipes sur les intérêts et les limites dans le fait de préparer la certification.

Voici sa composition :

Raison d’être : Pour une amélioration continue et une certification ISO 9001

Stratégie : Les changements introduits par la norme sont encodés dans Glassfrog plus qu’ailleurs.

Domaines : les politiques/redevabilités/notes encodées avec [ISO]

Redevabilités :

  • Impulser des changements de processus.
  • Proposer des processus explicites d’amélioration continue de la qualité.
  • Traduire la norme en langage Semawe.
  • Accompagner les rôles dans le changement.
  • Mettre à jour la politique qualité chaque semestre.

L’intérêt d’avoir un rôle ou un cercle ISO est que toutes les tâches et les autorités qui lui incombent sont explicitées. De cette manière, si un jour ce rôle est vacant et qu’on cherche à le pourvoir, toutes les informations nécessaires pour énergiser ce rôle seront disponibles et rassemblées au même endroit.

Notre cercle ISO 9001 encodé dans Holaspirit

Réunions tactiques

Il nous a été très utile de faire des réunions tactiques du cercle ISO régulièrement en invitant les leaders des cercles principaux de l’organisation. Cet espace peut être utilisé pour passer de l’information et pour faire des demandes aux leaders de cercle : la norme va nécessiter changements et restructurations et les leaders de cercle sont bien placés pour les impulser au sein de leur cercle. Par exemple, à Semawe des stratégies ont été explicitées dans certains cercles sous l’impulsion de la norme comme « L’adaptation au changement plus que le suivi d’un plan » Cette philosophie existait déjà dans notre organisation mais la norme nous a permis de la rendre explicite auprès de tous ses membres.

La gouvernance

Adapter son fonctionnement pour qu’il soit compatible avec la norme induit des restructurations plus ou moins profondes de la gouvernance. Pour éviter la multiplication de protocoles, de feuilles volantes dans des dossiers qui vont prendre la poussière une fois la certification passée, j’ai choisis d’encoder tous les requis de la norme qui concernent les tâches récurrentes à faire dans Glassfrog. Toutes les tâches récurrentes pour la qualité sont maintenant des redevabilités de rôles dans la gouvernance. Par exemple, remplir une fois par an le tableau de compétences est une redevabilité du rôle “associé”. De plus, les règles requises par ISO deviennent des politiques sur Glassfrog. Par exemple la norme nous demande de garder des traces des actions prises suite à nos réunions qui visent à nous améliorer comme les Rétrospectives, nous avons donc ajouté une politique dans Glassfrog concernant les Rétrospective : “Les projets et actions pris après une rétrospective sont notés dans Asana par l’organisateur.rice de la réunion”. Je recommande que chaque politique ou rôle créés dans le but de se conformer à ISO soient annotés d’un [ISO] et qu’ils soient tous sous le domaine d’autorité du rôle ISO. Cela permet d’éviter d’effacer une politique ou un rôle lié à ISO par mégarde.

Eviter la lubie normative

Pour préparer notre certification nous avons fait appel à un cabinet de consultant. Certains changements ou procédures que nous a préconisé notre consultante étaient coûteux en énergie et en temps et ne servaient à rien dans notre fonctionnement. Par exemple un tableau de compétences très complet basé sur des variables quantifiables ce qui ne répondait pas à nos besoins internes car nous ne fonctionnons pas de cette manière. Il est important de toujours relire la norme et de l’interpréter car elle laisse en réalité assez de marge d’interprétation. Nous avons choisi de toujours nous poser la même question lorsque l’on introduit un changement dans le fonctionnement de l’organisation pour répondre à la norme : est-ce que ce que je suis en train de faire est utile pour mon entreprise, ou suis-je seulement en train de me conformer à la norme ? La réponse nous évite de perdre de l’énergie et du temps sur des démarches inutiles. Une autre porte de sortie qui nous a aidé était de se demander : “quelle est l’action minimum que je peux mettre en place pour satisfaire la norme sans alourdir le fonctionnement interne ?”

Préparer la certification

Les audits internes

En s’appuyant sur les points proposés par la norme, chaque pilote de processus procède à un audit interne (avec l’aide du rôle ISO) et relève les non conformités (incohérences, décalages avec la réalité, process sur-designés ou sous-designés etc.). L’audit consiste donc à évaluer chaque étape créatrice de valeur ou indispensable au fonctionnement du processus selon différents angles :

  • la pertinence de l’étape compte tenu de l’orientation stratégique de l’organisation
  • son efficacité
  • les risques et opportunités associés
  • dernières mises à jour/modalités de mise à jour

À Semawe nous avons listé dans Asana la liste des éléments à évaluer lors de l’audit. De cette manière tout est rassemblé à un même endroit et de manière plus digeste que le texte de la norme.

Ici le plan que nous avons élaboré pour l’audit interne sur Asana : les éléments à évaluer sont listés par processus

Le rôle ISO est pilote de l’audit interne, sous réserve de maîtriser plusieurs choses :

  • le texte de la norme
  • la traduction de cette norme pour être applicable à l’organisation
  • la détection et le traitement des non conformités
  • les audits internes

Comme exprimé plus haut, ce n’est pas le rôle ISO qui réalise les audits internes, ce sont les pilotes des différents processus qui doivent évaluer l’efficacité du Système de Management de la Qualité au sein des processus. Par exemple à Semawe, c’est la Lead du cercle Business qui pilote le processus “Vente” et donc qui va auditer son propre processus. Ils sont accompagnés par ISO qui les guide. A Semawe ils n’ont qu’à suivre le plan d’audit interne sur Asana qui leur liste les éléments à évaluer (image ci-dessus). Vous pouvez aussi réaliser des audits croisés, avec un membre d’un cercle qui va auditer un autre cercle dans lequel il n’a pas ou peu de rôles pour offrir un point de vue différent.
Les non conformités repérées lors de l’audit serviront d’ordre du jour pour la revue de direction.

La revue de direction

La revue de direction est une réunion a posteriori des audits internes pour traiter les non conformités repérées, pour rendre compte des tendances macro au niveau des principaux processus créateurs de valeur dans l’organisation et pour fixer la vision pour l’année à venir (nouvelles opportunités, nouveaux risques…). La revue de direction est une étape importante dans la certification et le maintien de la norme ISO9001. Elle a lieu une à deux fois par an.
Nous l’avons structurée comme une réunion tactique. Pendant la phase de synchronisation sont abordés :

  • les indicateurs les plus pertinents pour rendre compte des grandes tendances de l’organisation (volume des factures sur l’année, performance des processus, volume de clients actifs, satisfaction client etc…)
  • le degré de réalisation des objectifs qualité (phase de nouvelles sur les projets dans la réunion tactique)

L’ordre du jour est constitué de toutes les non conformités repérées lors des audit internes, et ainsi traitées comme des tensions. A l’ordre du jour sont également prévues des discussions autour de la politique qualité, des besoins en ressources, des prestataires externes, de la satisfaction clients et enfin des risques et opportunités.
Nous avons listé l’ordre du jour de ces réunions tactiques sur Asana pour faciliter la réunion et ne rien oublier.

 

Les éléments de sortie de la revue de direction sont les mêmes que ceux d’une réunion tactique :

  • une action est prise
  • un projet est pris
  • un point de gouvernance est noté

Faciliter l’audit

Pour faciliter l’audit je recommande l’élaboration d’un document destiné à l’auditeur.trice pour consultation en amont de l’audit, et qui explique globalement le fonctionnement en Holacracy d’une organisation. Il peut être intéressant de faire un travail de traduction pour l’auditeur notamment pour expliquer le système de gouvernance :

  • un ensemble de rôles équivaut à une fiche de poste
  • la raison d’être d’un cercle ou d’un rôle s’apparente à un objectif à atteindre
  • un domaine d’autorité se rapproche d’un périmètre d’autorité
  • une stratégie d’un cercle équivaut à une orientation qui permet d’aider l’équipe à faire des choix et à prioriser son travail

Je vous conseille d’expliquer les différents temps forts qui rythment le quotidien dans l’organisation (réunions tactiques, réunions de gouvernance, Stand Up Meeting, rétrospectives…) et l’intérêt qu’ils portent (synchronisation, alignement, communication, modification de la gouvernance….)

Il est aussi important que l’auditeur.rice comprenne comment fonctionne la distribution de l’autorité et des responsabilités en Holacracy :

  • la totalité de l’autorité dans l’organisation est régie par les règles de la constitution
  • la distribution de l’autorité est explicitée avec les rôles
  • toute autorité est réelle/valable à partir du moment où elle est explicitée
  • ces règles s’appliquent à tout le monde de la même manière
  • etc…

De plus, il peut être utile de présenter dans le texte introductif les différents outils que l’on utilise au quotidien. Par exemple Slack pour communiquer, Asana ou Teams pour la gestion de projet, et le logiciel Holaspirit ou Glassfrog pour représenter la gouvernance. Cela peut faciliter la prise en main/compréhension de ces outils par l’auditeur.rice le jour de l’audit.

Conclusion

Voici un résumé de notre démarche pour obtenir la certification. En tant que pilote de ce projet et lead du cercle ISO, j’ai pu observer que la démarche qualité que nous avons mis en place nous a permis d’améliorer notre fonctionnement sur plusieurs aspects :

  • Traduire son fonctionnement dans un autre langage que le sien permet de déceler des risques, des dysfonctionnements mais aussi des opportunités que l’on n’aurait jamais perçu autrement.
  • Expliciter des attentes, des besoins, des règles et des priorités qui n’étaient jusqu’alors pas verbalisés ou clairs pour tout le monde ce qui apporte plus de transparence dans l’organisation.
  • Avoir une attention sur l’harmonisation de notre pilotage interne notamment avec la gestion de projets mais aussi sur le suivi de la satisfaction de nos clients.

Obtenir la certification ISO nous apportera aussi une crédibilité et une légitimité avantageuses vis à vis de la qualité de nos accompagnements auprès de nos clients.

Nous devrions passer l’audit d’ici la fin de l’année 2021. En croisant les doigts pour devenir la première organisation en Holacracy à être certifiée ISO9001. On vous tient au courant !

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