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Je voudrais vous parler d’un mot souvent piégé, abîmé, mal aimé : la vente.

Parfois la vente est vue comme une activité agressive, le closing “à l’américaine”, l’image du commercial prêt à vendre son âme pour un contrat. Je crois qu’on charge ce mot de projections négatives, quand on parle de la vente en disant « il faut vendre », comme un métier “sale”, celui qu’on refilerait à quelqu’un qui n’a pas trouvé mieux.

Peut-être que l’épisode des marchands chassés du Temple par Jésus (Jean 2:13-16) a laissé quelques traces dans notre culture, ou a été mésinterprété ! Mais nous n’allons pas faire d’exégèse ici !!

Ce dont je veux vous parler part d’un autre regard. Je parle du commerce comme acte fondateur de l’humanité. Quand les humains ont commencé à commercer avec de la monnaie, ils ont aussi inventé la conscience, la spiritualité, la religion. Le commerce nous a fait sortir des clans, des limites du troc, et nous a poussé à entrer en relation avec l’inconnu. C’est pour moi une des premières expressions de l’humanisme. Je crois qu’il y a du divin dans le commerce. Si j’accepte de l’argent dans une transaction, c’est bien parce que je partage avec quasiment tous les autres humains la croyance que l’argent a une valeur. Comme nous partageons cette méta-croyance, alors je sais que je pourrai réutiliser l’argent qui m’est donné en échange d’un travail, d’un objet ou d’un service. Cette croyance là dépasse de loin toutes les autres. Même si nous ne croyons pas aux mêmes dieux, nous pouvons tomber d’accord sur une valeur monétaire !

Vendre, c’est croire en l’autre

À l’endroit le plus nu, vendre, est un acte de foi. Quand j’achète un pain, je fais confiance. Je crois que le boulanger ne l’a pas empoisonné. Je n’en ai aucune preuve. C’est un saut dans l’inconnu, fait en toute tranquillité, juste parce que nous croyons dans les bonnes intentions de l’autre. C’est de la confiance donnée a priori, sans justification. Acheter, c’est croire. Vendre, c’est inviter l’autre à ce saut-là.

Mon podcast sur le sujet ici

Ce n’est pas si rationnel, et c’est pour ça que c’est grand

On aime se raconter qu’on prend des décisions rationnelles. Qu’on pèse le pour et le contre. Qu’on attend le devis. Mais dans les faits, la décision vient souvent avant les arguments. L’émotion précède la logique. Ensuite, notre cerveau cherche des justifications à ce que notre cœur a déjà décidé.

Alors, chez Sémawé, nous vendons des accompagnements. Parfois certains nous disent : “très cher”. Et je crois que plus un acte d’achat est engageant, plus il est émotionnel. L’argument vient ensuite, pour justifier a posteriori ce que le cœur avait déjà décidé. Notre cortex se raconte de belles histoires, mais la décision vient de plus profond. Le biais de confirmation fait le reste : on trouve ensuite toutes les bonnes raisons pour dire “c’est une bonne décision”.

Quand un client me dit : “Aliocha, j’ai déjà décidé de bosser avec toi, mais il faut que je lise le devis”, je souris. Parce qu’il a mis en mots un processus qu’on vit tous : on achète d’abord avec le cœur, puis on signe avec la tête.

Si tu es humain, tu peux vendre

Il faut arrêter de croire que vendre, c’est un métier de spécialistes. C’est un métier d’humains. Et si tu es capable de te mettre en lien, de faire confiance, alors tu peux vendre.

Et une fois qu’on comprend ça, on redéfinit complètement ce que veut dire vendre. Ce n’est plus une affaire d’experts, ni de techniciens du pitch. C’est une affaire de relation.

Donc … si tu es humain, tu peux vendre. Il suffit d’être capable de confiance.

Vendre comme acte de générosité

Si je vends pour prendre, alors c’est une guerre, une négociation, un bras de fer, un truc où chacun essaie de perdre le moins possible et de prendre le plus possible. Mais si je vends pour offrir quelque chose de beau, de bon, de vrai, alors c’est un échange fécond. Une bonne affaire. Dans le sens noble du terme.

Une bonne affaire, ce n’est pas une affaire où j’ai « bien négocié ». C’est un moment où les deux repartent nourris. Une bonne affaire, ce n’est pas une affaire “pas chère”. C’est une affaire où les deux se disent : “Waouh, c’est précieux ce qui vient de se passer”. 

Ce pain qu’on paie plus cher mais qu’on savoure avec gratitude. Ce service qu’on sait aligné, profond, juste. Alors plus cher peut être plus généreux. Le problème, ce n’est jamais le prix, c’est l’intention.

Et chez Sémawé, notre intention, c’est d’offrir. Si je n’ai rien à offrir à un client, je ne lui vendrai rien. Un appel commercial peut très bien se terminer par : “Je ne pense pas qu’on ait quelque chose à faire ensemble.” Et c’est parfaitement OK.

Il me semble que la boussole qui nous permet de définir ce qui est bon, le bon acte, le bon accord de vente, le bon prix, est constituée de ces questions là : 

  • Le « bon » comme ce qui fait du bien, satisfait un besoin, soulage une tension.
  • Le « bon » comme ce qui est juste, adapté à la situation, en harmonie avec ce qui est.
  • Le « bon » comme ce qui élève l’autre et soi-même, contribue à l’autonomie.
  • Le « bon » comme ce qui est intègre, cohérent avec ce qui est vrai pour moi, ce que je pense, qui je suis, ce que je sens.

Revenir à soi

Ce type de vente n’est possible qu’avec de la confiance en soi. Je ne peux pas espérer que l’autre me fasse confiance si je ne me fais pas confiance. D’ailleurs vous avez déjà remarqué comme l’autre agit souvent comme un miroir de soi-même dans la vie ? Je dois cultiver ma posture, mon estime, mon alignement pour susciter de la confiance chez les autres. Et ça commence dans des choses très concrètes comme prendre soin de moi, de mon apparence, de ma manière d’être, de ma présence.

Ce n’est pas du narcissisme. C’est la base de l’estime personnelle. Et l’estime personnelle est la base de l’intention juste. Quand je suis aligné intérieurement, cette générosité dont je parle n’est pas un concept. Elle se sent. Elle touche l’autre.

L’intention qui transpire

Cette intention, c’est le cœur de tout. Si je vends en me demandant « qu’est-ce que je peux lui prendre », ça va se sentir. Si je vends en me demandant « qu’est-ce que je peux lui offrir », ça change tout.

Dans une vente, ce qui compte n’est pas tant ce que je dis, mais comment je le dis. Le non-verbal pèse plus que tout. Ce que les autres perçoivent de moi va bien au-delà des mots. Et cette perception repose sur mon énergie, ma posture, mon écoute, ma sincérité.

C’est pour ça qu’un bon vendeur peut se tromper sur tous les arguments et vendre quand même. Et un autre, avec un pitch parfait, ne signera rien. Parce qu’on ne vend pas un devis. On vend une relation.

Une affaire d’équilibre et de confiance partagée

Alors bien sûr, il y a aussi la réalité des jeux d’acteurs. Parfois, ton interlocuteur n’est pas celui qui a le pouvoir de signer. Et alors ? On peut cultiver la même posture. Parce que ce n’est pas une question de structure, c’est une question de foi. Je crois que l’autre peut me faire confiance. Et s’il me fait confiance, alors il justifiera son choix. Mais s’il y a un doute, tout s’effondre. La meilleure offre du monde ne résiste pas à une suspicion. Le client qui découvre une incohérence, un détail louche, une trace de dissimulation… n’achètera pas.

C’est bien un acte de confiance, de bout en bout.

Apprendre à vendre autrement

C’est ce que j’essaie de transmettre à l’équipe de Sémawé depuis que je travaille avec des salariés dans mon équipe, depuis 2010 ! Je crois que vendre est une fonction noble, essentielle, donc spirituelle. Nous n’avons rien à envier aux pros du marketing si nous sommes profondément incarnés dans ce que nous offrons, si chaque mail, chaque devis est l’occasion de cultiver un lien humain, pas d’atteindre un objectif.

Alors voilà notre boussole : foi, confiance et générosité.

Si nous ancrons ces trois mots dans nos pratiques commerciales, alors nous vendons avec sincérité, sans manipulation, sans pression, sans peur. Nous proposerons au monde des actes de commerce qui nourrissent la relation plutôt que de la dévorer.

Et ça, c’est un acte politique, un acte qui unit et non sépare.

Aliocha Iordanoff

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