Avec la loi PACTE, les entreprises peuvent désormais se doter d’une raison d’être. La raison d’être est le sens profond qu’une organisation donne à son activité. C’est la ligne directrice, l’étoile que l’on suit pour garder le cap. Qu’est-ce que cette loi vient changer dans nos organisations ? Comment formuler la raison d’être de son entreprise ?
Semawe fait un point sur cette loi porteuse de sens et vous raconte le processus d’émergence de sa propre raison d’être.
La loi PACTE, une invitation à repenser la place des entreprises dans la société
La loi PACTE, Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, votée le 22 mai 2019, se décline en 10 mesures :
- Simplifier les seuils applicables aux PME
- Supprimer le forfait social sur l’intéressement et la participation
- Repenser la place de l’entreprise dans la société
- Créer son entreprise 100 % en ligne à moindre coût
- Faciliter le rebond des entrepreneurs
- Rapprocher la recherche publique de l’entreprise
- Faciliter la transmission d’entreprise
- Simplifier et assurer la portabilité des produits d’épargne retraite
- Soutenir les PME à l’export
- Protéger les entreprises stratégiques
La mesure numéro 3 est celle qui retient particulièrement notre attention. “Repenser la place de l’entreprise dans la société”. D’un point de vue législatif, cela veut dire que le Code civil et le Code de commerce ont été modifiés afin de renforcer la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux dans la stratégie et l’activité des entreprises.
Mais dans une entreprise que cela va-t-il changer concrètement ? Qu’est-ce que la formulation d’une phrase peut changer dans les organisations ?
La raison d’être a une valeur juridique !
Chaque société dispose de statuts. Les statuts doivent être établis par écrit. Ils déterminent, outre les apports de chaque associé.e., la forme, l’objet, l’appellation, le siège social, le capital social, la durée de la société et les modalités de son fonctionnement.
Le Code Civil indique maintenant que “les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité.”
Article 1835 du code civil : Modifié par LOI n°2019-486 du 22 mai 2019 – art. 169
A partir du moment où une entreprise a écrit dans ses statuts sa raison d’être, elle peut s’en prévaloir comme elle peut le faire de son objet social.
Certaines grandes entreprises se sont saisies de cette occasion pour communiquer, comme la Maïf, première entreprise à déclarer sa transformation pour adopter le statut de “société à mission” ouvert par la loi Pacte d’ici le printemps 2020. Un moyen pour l’assureur « militant », de valoriser sa différence dans un secteur particulièrement concurrentiel.
La raison d’être de la Maïf :
“Convaincus que seule une attention sincère portée à l’autre et au monde permet de garantir un réel mieux commun, nous la plaçons au cœur de chacun de nos engagements et de chacune de nos actions. C’est notre raison d’être.”
Notre avis : cette jolie phrase n’est pas une raison d’être mais plutôt une bonne résolution, ou du moins répond à la question du comment plus qu’à la question du pourquoi. Elle parle de la façon dont la Maïf entend mettre en oeuvre sa raison d’être.
Faites le test ! Avec cette phrase formulée ainsi, pourrait-on se dire : “Une fois cette mission profonde réalisée, l’organisation peut-elle se dissoudre puisqu’elle n’a plus de raison d’être” ? Cela reste à vérifier…
Donc c’est un beau pas que franchit la Maïf, mais ce n’est qu’un premier pas. D’ailleurs, le Directeur Général du groupe déclare aux Echos, « nous ne le faisons pas seulement par conviction mais aussi pour des raisons stratégiques. Nous sommes convaincus que cela peut développer notre attractivité« .
La valeur juridique conférée à la raison d’être pousse les entreprises à prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité et les place réellement en situation d’acteurs responsables.
Qu’est-ce qu’une raison d’être ?
La loi dite “PACTE” invite les entreprises à formuler une raison d’être. Une raison d’être est une phrase ou un petit paragraphe qui explicite la mission qu’une entreprise se fixe. La raison d’être n’est pas la réponse au “comment ?”, ce n’est pas un slogan non plus, ni une orientation stratégique ou un positionnement marketing. La raison d’être vient plutôt questionner le rôle des entreprises dans la société.
Pour donner des exemples de raison d’être, nous pouvons citer :
- Lego : « Inspirer et développer les constructeurs de demain ».
- Decathlon : « Le sport partout, pour tous ».
- Google : « Rendre les informations accessibles et utiles à tous ».
- Essilor : « Améliorer la vision pour améliorer la vie ».
La raison d’être manifeste la façon dont une organisation ou une entreprise considère son utilité dans le monde : répond-t-elle à un intérêt collectif ? Prend-elle en compte le territoire sur lequel elle vit ? Est-elle consciente des enjeux sociaux et environnementaux liés à son activité ?
Finalement la raison d’être est une réponse à la question : à quoi servent les entreprises ?
L’apparition des sociétés à mission
Un autre article emblématique de la loi PACTE, le numéro 176 pour être précis, introduit une modification de l’article 210 du code de commerce en disant qu’une société peut maintenant faire publiquement état de sa qualité de société à mission.
Quelques conditions sont nécessaires pour pouvoir déclarer son entreprise comme entreprise à mission. En particulier :
- Les statuts précisent une raison d’être.
- Les statuts précisent des objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité.
- Un comité de mission est chargé d’assurer le suivi de l’exécution de cette mission.
- Un organisme tiers indépendant vérifie l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux.
- La société a effectué les démarches de déclaration au greffe du Tribunal de Commerce.
Plusieurs précisions des modalités d’application de ces règles sont attendues avec impatience par les entreprises qui se reconnaissent déjà dans une vision de leur engagement social et sociétal. Ces précisions – et en particulier la liste des organismes certificateurs accrédités par le COFRAC qui pourront vérifier l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux – viendront par des décrets certainement publiés d’ici la fin de l’année 2019.
En cas de non respect de ses engagements, une société pourra se voir contrainte de retirer de ses statuts et de tous ces supports de communication son statut de société à mission.
Certains attendaient une force de contrainte plus grande sur cet engagement des entreprises, mais nous faisons le pari que les attentes de la société se développeront progressivement. Bien sûr, certaines entreprises vont faire du “mission washing”, comme il existe depuis longtemps du “green washing” sur les arguments écologiques.
Retrouver du sens dans son organisation
Pour une entreprise ou une organisation, exprimer sa raison d’être est un acte fort et engageant car elle définit la raison de son existence. Il s’agit pour les entreprises de revenir à l’essence de leur activité. Ce sens permet aux entreprises d’orienter leurs choix stratégiques. Il devient une source d’inspiration pour les membres de l’organisation. De fait, la raison d’être répond au besoin indispensable au bonheur et à la réalisation de soi : trouver du sens dans son occupation professionnelle.
La raison d’être répond à la question du pourquoi. Une façon simple de vérifier qu’une raison d’être exprime bien un but ultime, est de vérifier si une fois ce but atteint, l’organisation pourrait disparaître par inutilité. Une fois que le pourquoi de l’existence d’une organisation est posé, elle peut de façon cohérente définir comment elle parvient à son but et enfin ce qu’elle fait.
Poser les bases d’une gouvernance partagée
La raison d’être d’une organisation devient la ligne directrice et se trouve à la source de la gouvernance. De fait, c’est le système de gouvernance d’une organisation qui vient servir la raison d’être, et non l’inverse.
L’émergence de la raison d’être d’une entreprise est le fondement de tout mouvement de libération d’une organisation ou de la mise en place d’une gouvernance partagée, comme Holacracy par exemple. Pour que les individus soient libres et responsables d’entreprendre les actions qu’ils jugent bonnes pour l’organisation, ils doivent pouvoir vérifier par leur propre jugement que ces actions servent la raison d’être.
De la même façon, c’est la raison d’être qui permettra aussi aux membres de l’organisation d’exprimer une objection lorsqu’ils jugent qu’une décision ou une action nuirait à la raison d’être, ou bien ferait reculer l’organisation dans la mise en oeuvre de sa raison d’être. Ce repère stratégique se retrouve ainsi jusque que dans les mécanismes de prise de décision par consentement présents dans les systèmes de gouvernance partagée, en Sociocratie ou sous une autre variante en Holacracy.
C’est parce qu’elle a tant d’importance pour la bonne gouvernance de l’entreprise, que la raison d’être doit être compréhensible, partagée et actionnable à tous les niveaux de l’entreprise. Elle s’exprime dans un processus participatif, collaboratif, en intelligence collective. Une raison d’être se découvre plus qu’elle ne se crée !
Faire émerger sa raison d’être : un processus d’intelligence collective
Animée par la recherche de sens, l’équipe de Semawe est partie sur les chemins du retour à l’essentiel pour rencontrer sa raison d’être.
Comment s’est déroulé le processus ?
L’équipe a choisi le format du Forum Ouvert. Une journée de réflexion ouverte pour faire émerger les envies et les interrogations et converger ensuite vers le but : formuler une raison d’être commune dans laquelle tous les membres se retrouvent
“Pour que dans toutes les formes d’organisations humaines, le travail soit un écosystème de coopération qui permette la réalisation de soi dans un monde en paix.”
Un moment fédérateur pour l’équipe
Prendre le temps de faire émerger sa raison d’être, c’est s’offrir un moment fédérateur en équipe. Chacun.e s’implique et contribue au sens porté par l’entreprise. C’est un moment privilégié que nous avons vécu ensemble et que nous faisons également vivre à nos clients lors de nos accompagnements. Comme en témoigne les fondateurs de l’entreprise Dahub :
“La raison d’être nous sert d’ingrédient de base, de socle pour alimenter la discussion. C’est une sorte de graine. Ces deux phrases nous servent à discuter de plein de choses. C’est pour cela que ce travail a été très efficace et structurant pour nous.”
“Même si nous n’utilisons pas les mêmes mots, nous aurons une vision partagée, alors qu’avant nous avions chacun une vision partielle.”
Une raison d’être évolutive
Nous sommes convaincus qu’une raison d’être exprimée peut évoluer, mûrir, se densifier, s’élargir ou au contraire se recentrer davantage, au gré des évolutions d’une entreprise. Les entreprises sont des organismes vivants, elles s’adaptent à leur environnement et sont aussi l’expression d’une culture commune et d’interaction entre des parties prenantes qui elles aussi évoluent.
Assez naturellement, une raison d’être devrait gagner en force et en concision avec le temps.
Et si demain les entreprises pouvaient voter ?
La raison d’être est un acte fondateur pour une organisation, un moteur pour définir le sens de ses actions. Elle a une valeur juridique et confère une responsabilité aux personnes morales.
Si les personnes morales peuvent avoir une raison d’être et des responsabilités, ne pourrait-on pas imaginer que demain, les entreprises votent ? Si les entreprises questionnent leur rôle politique et social, prennent des engagements sur l’impact de leurs activités, ne pourraient-elles pas avoir une place en tant que personnes morales ?
Quoi qu’il en soit, les entreprises se doivent de questionner leur place et leur impact dans la société. Définir sa raison d’être, c’est se donner l’occasion de se poser les bonnes questions pour retrouver du sens dans ses actions !
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