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Plus une organisation grandit, plus il est difficile de faire participer tout le monde. Pas chez Cabestan ! La coopérative du bâtiment a une exigence démocratique qui la pousse à toujours réinventer sa gouvernance. Pour l’Assemblée Générale de 2023 la coopérative choisit de réinterroger les processus de désignation des instances clés : la Présidence et la Direction Générale.

Le contexte

2023 était placée sous le signe de la gouvernance pour Cabestan. L’enjeu ? Renouveler les mandats de Présidence et de Direction Générale.

Statutairement, ces mandats sont renouvelés par le Conseil d’Administration, ce qui confie la décision à seulement quelques personnes (12). Mais Cabestan est une organisation avec un haut niveau d’exigence sur la décision partagée. En 2019 déjà, la coopérative avait désigné sa Direction Générale par un processus d’élection sans candidat appelé légitimation.

Pour 2023, pas question de revenir à de simples processus statutaires (même s’ils seront tout de même tenus). Les membres de la coopérative souhaitent réinterroger la manière de désigner les personnes dans les mandats.

La demande

En octobre 2022, Cabestan sollicite Sémawé pour être accompagné. La mission ? Ouvrir le champ des possibles pour imaginer d’autres manières de désigner des personnes aux mandats de Direction Générale et de Présidence.

    Accompagnement du groupe de travail pour faire émerger une nouvelle modalité de désignation des mandats

    Un groupe de travail chez Cabestan c’est un groupe composé de membres de la coopérative (associés ou non) et de membres de l’équipe salariée.
    L’accompagnement démarre avec une question clé : mais pourquoi changer ? Pourquoi changer une modalité de désignation qui fonctionne, à savoir :

    • Election de la Présidence par les membres du Conseil d’Administration.
    • Emergence de la Direction Générale par le processus de légitimation, puis nomination officielle par le Conseil d’Administration sur proposition de la Présidence qui est libre de choisir ou pas, la personne désignée par le processus de légitimation.

    Les raisons sont très claires :

    • La coopérative compte maintenant 350 personnes, il faut ouvrir la prise de décision à un plus grand nombre.
    • C’est une occasion de diffuser une culture démocratique et d’impliquer les membres.
    • Mettre en place des processus pour que les personnes désignées se sentent légitimes à assurer ces mandats.

    Pour impliquer un maximum de monde, les rencontres du groupe de travail sont organisées aux 4 coins de la région. A chaque session il y a des participants différents et des participants “fil rouge” qui suivent les travaux depuis le début.

    En 3 sessions de travail, le groupe aboutit à 3 scénarios de désignation des instances. Afin de prendre la température, le groupe présente ses travaux à l’Assemblée Générale de décembre 2022. C’est un point d’étape clé car l’assemblée (100 personnes) :

    • Se positionne très clairement sur l’idée qu’il faut que la Direction Générale et la Présidence soient désignées chacune par un processus de légitimation.
    • Suggère d’approfondir l’idée d’une Co-Présidence.

    Le groupe reprend ses travaux pour finalement aboutir à une proposition qui sera validée par le Conseil d’Administration, une journée de légitimation pour désigner :

    • Une Co-Présidence.
    • La Direction Générale.

    Les 3 personnes désignées auront ensuite 15 jours pour se prononcer sur leur choix d’accepter ou non le mandat.

    Journée de légitimation pour désigner les candidats

    Cette journée est un défi : il s’agit pour nous de faciliter 3 processus de légitimation. A la fin de la journée il faut 3 noms pour 3 mandats. L’ensemble de la coopérative est invité. 62 personnes répondent à l’appel. N’importe quelle personne dans la pièce peut être légitimée et il ne peut pas y avoir d’observateur.

    Le processus de légitimation : Ce processus est librement inspiré de l’élection sans candidat et de l’élection intégrative

    Temps 1 – Appropriation des fiches de mandat par les participants

    Les personnes réunies pour le processus de légitimation échangent oralement lors d’un temps d’appropriation des fiches de mandat et d’interconnaissance.
    Elles prennent un temps d’écriture des fiches de savoirs, savoir-être et de savoir-faire, relatives aux mandats pour lesquels le processus de légitimation est prévu.

    Temps 2 – 1er tour de vote :

    Chaque personne présente, écrit sur un papier son nom et prénom et le nom et prénom de la personne qu’elle souhaite légitimer.

    Chaque bulletin est lu. Son auteur explique son choix, c’est le tour de compliments.

    Temps 3 – Compte des votes et proposition d’un.e candidat.e

    Le facilitateur propose le candidat qui a obtenu le plus de votes.

    Temps 4 – Tour de changement de votes

    Chaque personne annonce si elle maintient ou change son vote.

    Temps 5 – Tour d’objections :

    On procède enfin à un tour d’objections à la proposition.
    La personne qui vient d’être légitimée peut alors objecter sur sa légitimation.
    La personne qui a obtenu le plus de votes s’exprime en dernier, pour être d’abord dans l’écoute des objections formulées, avant de s’exprimer elle-même.

    La question posée pour l’objection sera : “Est-ce la légitimation de XX au mandat de XX peut causer du tort à l’organisation ?”

    Pour éviter des objections qui seraient en fait des préférences personnelles, le facilitateur pose 3 questions test.

    Les 3 questions “test” sont :

    • Quel est le tort créé ? Peux-tu le décrire factuellement ?

    • Est-ce que de ton expérience tu sais que ça va se produire ou est-ce que tu anticipes que ça pourrait arriver ?

    • Sachant que le processus pour obtenir un trinôme n’est pas terminé, est-ce que l’on peut prendre le risque d’essayer ?

    Les objections (et les compliments dans le tour précédent) portent sur la légitimation, c’est-à-dire les personnes légitimées. Ce temps n’est pas le lieu d’expression des objections sur le scénario lui-même, celles-ci ayant pu s’exprimer en Groupe de Travail .

    Une fois le tour d’objections terminé, on procède à l’intégration des objections en commençant par la personne pressentie pour être légitimée, si elle a objecté. Cela permet de savoir tout de suite si la personne décline la proposition.

    Temps 6 : Expression des personnes légitimées

    La personne légitimée a la parole pour exprimer son ressenti, sur le processus lui-même et sur sa légitimation.

    À la fin de la journée 3 personnes sont désignées. 15 jours plus tard, le 31 mars le trio se dit oui ! Leurs 3 noms seront proposés lors du Conseil d’Administration du 6 juillet 2023, date du vote officiel.

    L’Assemblée Générale 2023 et le Conseil d’Administration pour acter la décision :

    Chez Cabestan qui est une SA avec un CA, l’Assemblée Générale élit les membres du Conseil d’Administration. Les membres vont ensuite élire la Présidence au sein du Conseil et c’est elle qui va leur proposer une personne pour le mandat de Direction Générale. Même si le processus de légitimation a eu lieu, chacune de ces instances reste maîtresse de ses choix. Elle n’est pas obligée de suivre les noms proposés. C’est pour cela qu’il se nomme processus de légitimation, la décision finale restant statutairement dévolue au CA.

    Aller, stop au suspens, à l’été 2023 Cabestan l’Assemblée Générale porte à la Co-Présidence Yaëlle Epyneau et Baptiste Betinas et à la Direction Générale Sébastien Enault ! Nous leur souhaitons un mandat sous le signe de la coopération et de l’action !

    Ce que cela a permis pour Cabestan

    Confier ce sujet à un groupe de travail est une prise de risque, qui est une réelle marque de confiance. Peu d’organisation laisse le soin de proposer des processus de désignation de ces instances à un groupe de travail. C’est donc un réel choix d’ouverture dans la gouvernance. Qu’est-ce que permet une telle démarche ?

    “Des personnes qui ont participé ont pu prendre conscience du sujet de la gouvernance.” – Baptiste

     

     

     

    “De donner accès aux informations sur la gouvernance à un grand nombre de personnes. Cela a permis de s’interroger, de participer, de se questionner et d’interagir à différents niveaux de la coopérative.” – Yaëlle

    “De se réinterroger sur notre fonctionnement. Ce travail nous a permis de clarifier les rôles, ce qui n’avait jamais été fait auparavant. Ca a été salutaire car cela a permis de voir des dysfonctionnements de gouvernance.” – Sébastien

    Ce que nous apprend Cabestan c’est que tout est possible. Une organisation peut faire cohabiter des processus statutaires et des processus coopératifs dans sa gouvernance. C’est un moyen d’impliquer plus largement et de diffuser une culture démocratique en interne.

    Jeanne de Kerdrel

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